ANGUILLES ARGENTÉES : Comment améliorer leur survie pendant la dévalaison au droit des ouvrages hydroélectriques
Note du CONAPPED du 3 janvier 2023
Publiée le vendredi 17 février 2023 à 11h32 dans Actualités
Proposition d’une mesure permettant d’améliorer la survie des anguilles argentées lors de leur départ des cours d’eau vers la mer des Sargasses, au droit des ouvrages hydroélectriques, par arrêts de turbines ciblés
Certaines espèces de poissons colonisant les cours d’eau de la France métropolitaine ont connu une grande raréfaction au cours des 150 dernières années. En particulier les espèces dites de « poissons grands migrateurs » ont particulièrement souffert de la disparition et de la fragmentation des habitats nécessaires à la réalisation de leur cycle biologique. Ainsi, autrefois répandu dans l’ensemble des bassins versants européens, le grand esturgeon migrateur n’est-il plus présent que dans le bassin de la Garonne, tandis que le bassin de la Loire abrite la dernière population de saumons de grande migration de toute l’Europe occidentale.
Parmi ces espèces migratrices, l’anguille européenne présente la particularité de ne posséder qu’une seule métapopulation, dont l’origine serait une zone de reproduction en mer des Sargasses, au large de Cuba et de la Floride, et dont les alevins (civelles) colonisaient l’ensemble des eaux douces et des lagunes des continents européen et nord-Africain, avant que les humains n’en assèchent une grande partie ou ne rendent les habitats de grossissement inaccessibles avec l’édification de 1,2 millions d’obstacles dans l’aire de répartition historique européenne de l’espèce.
Sa forte régression depuis les années 1980 a conduit les institutions européennes à établir un règlement de reconstitution des stocks de cette espèce, le règlement CE 1100/2007, qui impose aux Etats membres d’établir des plans de gestion. Parmi les mesures à prendre, figurent des mesures de réductions de mortalités par pêche, pour lesquelles la France a atteint ses objectifs concernant les professionnels, mais également des mesures de reconstitution des habitats ou de restauration de la continuité écologique. Malheureusement la réduction de la mortalité liée à ces autres facteurs anthropiques n’est pas à la hauteur des engagements de la France, notamment concernant la migration de colonisation, qui est toutefois compensée par des transferts de civelles des estuaires vers des zones en amont, mais également pour la migration de départ des anguilles argentées pour la reproduction en mer des Sargasses.
En effet, peu d’ouvrages, notamment hydroélectriques, sont équipés de grilles suffisamment resserrées et de goulottes d’avalaison pour éviter aux anguilles argentées de dévaler à travers les turbines et d’y subir d’importantes mortalités. Ainsi est-il estimé que sur la centrale du barrage de Pose en aval de la Seine, ce sont plus de 25 % de toutes les anguilles argentées produites par l’ensemble du bassin qui sont tuées, et de l’ordre de 30 % au barrage de Châtellerault sur la Vienne, tandis que sur le Rhône une anguille quittant la région de Lyon ne pourra survivre jusqu’en Méditerranée.
La Commission estimant que les plans de gestions de l’anguille n’obtenaient pas les résultats escomptés, celle-ci a fait adopter par le Conseil des Ministres des pêches des 11 au 13 décembre 2022 des mesures supplémentaires de réduction des pêches, mais dont l’impact sera d’autant plus limité que les autres mortalités ne seront pas significativement réduites.
C’est pourquoi il est proposé la mise en oeuvre d’une mesure d’urgence de sauvegarde des anguilles argentées, avec la mise en oeuvre d’arrêts de turbines ciblés sur les périodes propices à la dévalaison des anguilles argentées sur les cours d’eau de métropole colonisés par l’espèce.
En effet, un travail collaboratif entre le MNHN, EDF et les pêcheurs professionnels fluviaux de Loire, détenteurs de savoirs, savoir-faire patrimoniaux et de plus de 20 ans de données complètes de pêche d’anguilles argentées, a permis en 2009 de produire un premier modèle de prédiction des périodes favorables au départ des anguilles. Les différentes variables déclenchant ou inhibant la dévalaison des anguilles, proposées par les pêcheurs, ont été testées et validées. Ainsi les augmentations de débits, les météos dépressionnaires et l’absence de lumière nocturne sont-ils des facteurs déclencheurs de l’avalaison.
Le jeu de données sur la dévalaison des anguilles argentées s’est depuis enrichi, et a permis d’établir un modèle plus robuste et transposable sur l’ensemble des cours d’eau, et fonctionnant avec plusieurs variables : les caractéristiques hydrologiques du cours d’eau, les variations de débit à plus ou moins long terme et les phases lunaires.
En fonction de la situation de l’ouvrage sur le bassin versant, et des dimensions de celui-ci, des arrêts de turbines ciblés pendant 16 à 36 nuits, entre le 1er octobre et le 28 février de chaque saison de migration, pourraient permettre la survie d’un nombre considérable d’anguilles argentées, et de contribuer à l'atteinte de l’objectif de réduction de mortalité par les turbines de 75 % comme requis par le règlement européen.
La mise en oeuvre d’une telle mesure vise à maximiser la survie des anguilles argentées en dévalaison vers l’océan, pour respecter les conditions de survie et de reconstitution de cette espèce prescrite par un règlement européen, en minimisant les pertes de productions d’énergie hydroélectriques.