MIGRATEURS : Les mesures urgentes à mettre en oeuvre
Note du CONAPPED du 4 janvier 2023
Publiée le vendredi 17 février 2023 à 09h44 dans Actualités
Proposition de mesures d’urgence permettant d’améliorer la survie des populations de lamproie marine, de grande alose et de saumon atlantique sur les axes de longue migration, par translocation de géniteurs et régulation du silure glane.
Certaines espèces de poissons colonisant les cours d’eau de la France métropolitaine ont connu une grande raréfaction au cours des 150 dernières années. En particulier les espèces dites de « poissons grands migrateurs » ont particulièrement souffert de la disparition et de la fragmentation des habitats nécessaires à la réalisation de leur cycle biologique. Ainsi, autrefois répandu dans l’ensemble des bassins versants européens, le grand esturgeon migrateur n’est-il plus présent que dans le bassin de la Garonne, tandis que le bassin de la Loire abrite la dernière population de saumons de grande migration de toute l’Europe occidentale.
Parmi ces espèces migratrices, les poissons dits « anadromes » se reproduisent en eau douce, parfois très en amont des cours d’eau, et vont passer leur phase de croissance principale en mer. Ils étaient auparavant présents dans tous les fleuves de France métropolitaine, sauf pour le saumon absent de Méditerranée, avant que les humains n’en artificialisent une grande partie ou ne rendent les habitats de reproduction inaccessibles, avec l’édification de 1,2 millions d’obstacles dans l’aire de répartition historique européenne de ces espèces.
En particulier, l’alose et la lamproie, espèces très prolifiques, ne sont plus présentes en Europe que dans quelques fleuves, dont la Garonne, l’Adour ou la Loire pour la métropole. Malgré les protections très anciennes voulues par des lois et règlements (loi de 1865 sur les échelles à poissons…), la restauration de la continuité écologique des cours d’eau entre la mer et les zones de reproduction en amont s’avère être un sujet très épineux, complexe à mettre en oeuvre et soulevant des oppositions récurrentes et parfois violentes.
De fait, les différents programmes sont très loin d’avoir permis d’obtenir les résultats dont l’alose, la lamproie et parfois le saumon ont besoin pour maintenir des niveaux de populations acceptables. Désormais, l’accélération de certains processus négatifs ajoute aux barrages de nouveaux facteurs de mortalité d’origine anthropique, qui menacent ces espèces d’extinction à court terme :
- Les hausses des températures des cours d’eau réduisent les fenêtres pendant lesquelles les migrations de reproduction sont possibles, les empêchant de parcourir les trajets de plusieurs centaines de kilomètres parfois nécessaires pour atteindre les habitats de reproduction ;
- La réduction de débits des cours d’eau rendent beaucoup plus difficiles les migrations de montaison, et notamment le franchissement des barrages, même quand ils sont équipés de dispositifs de franchissement ;
- La prolifération du silure glane, super-prédateur introduit dans la plupart de nos grands et moyens cours d’eau, exerce une pression de prédation très importante sur les flux de poissons migrateurs. Le silure étant une espèce très adaptable et opportuniste, ces prédations sont exacerbées au droit des barrages que les migrateurs doivent franchir pendant leur migration, en plus de prédations réparties tout le long des voies de migration. Il utilise les passes à poissons comme des « distributeurs d’aliments », ces aliments étant constitués des migrateurs amphihalins, très riches en lipides de grande qualité énergétique. Des travaux récents de collaborations entre chercheurs et pêcheurs professionnels ont montré qu’en Gironde, 80 % des lamproies étaient prédatées par le silure avant reproduction, tandis que ce taux de prédation est de 82 % sur le bassin de la Vienne en aval du barrage de Châtellerault (Vienne) et de celui de Descartes. En Loire moyenne, en aval du seuil de la centrale nucléaire de St-Laurent-des-Eaux, premier obstacle permanent depuis l’océan Atlantique, le taux de prédation est de 100 % avant reproduction. Pour les aloses ayant réussi à accéder à des zones de reproduction, les couples de géniteurs sont très fréquemment attaqués par les silures pendant la ponte, rendant celle-ci inopérante.
Compte tenu du cumul de ces conditions très défavorables au maintien de ces espèces, et notamment de l’extrême lenteur du rétablissement de la continuité écologique de la mer vers l’amont des cours d’eau, difficulté à laquelle s’ajoutent les impacts négatifs du dérèglement climatique en terme de débits et de température des cours d’eau et la prédation du silure, il est proposé la mise en oeuvre d’actions de compensation et de correction pour minimiser ou corriger rapidement ces impacts conformément au principe d’action préventive et de correction (cf. 2° alinéa du II de l’article L.110-1 du code de l’environnement). Deux actions utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable sont proposées :
- La mise en oeuvre d’actions de régulation du silure en aval, dans les passes à poissons et en amont des barrages, de manière à sauver des géniteurs d’aloses, de lamproies et de saumon de la prédation par le silure ;
- La translocation de géniteurs de lamproies, d’aloses et si besoin de saumons du cours aval des bassins Garonne-Dordogne et de la Loire, vers des zones en amont indemnes de silures. Compte tenu du fait que l’action de régulation du silure ne pourra avoir un impact positif significatif qu’après plusieurs années de mise en oeuvre, cette mesure de translocation semble être une mesure d’urgence absolue pour la sauvegarde des poissons grands migrateurs.
Ces deux actions complémentaires ont été testées avec succès sur le bassin Garonne-Dordogne en 2021 et 2022, et pourront être renouvelées en 2023, si les budgets nécessaires peuvent être bouclés (pour la régulation du silure, budget prévisionnel de 238000 €). La régulation a concerné 914 silures sur 5 sites en 2021 et 1207 silures en 2022. Pour la lamproie marine, l’objectif sur ce bassin est de passer d’une translocation de 3000 géniteurs en 2022 à 10000 en 2023 (avec un budget prévisionnel de 242000 €).
Pour le bassin de la Loire, aucun financement n’est actuellement disponible pour la réalisation de ces actions.